Le jeu des alliances a-t-il eu pour conséquences la guerre de 1914-1918 ?
Le jeu des alliances a-t-il eu pour conséquences la
guerre de 1914-1918 ?
par
Annie Krieger
Docteur en Droit
Maître-assistant à l'Université de Paris IX - Dauphine
Chargée d'enseignement à Paris III (Sorbonne Nouvelle)
« Ce sera la guerre Pan-Pan » déclara, en janvier 1914, une grande-
duchesse, au nouvel ambassadeur de France à Saint- Pétersbourg, Maurice
Paléologue. Elle ne faisait pas allusion à la puissance des armements, mais
à la rivalité pan-germanistes contre pan-slavistes.
Maurice Paléologue (1859-1944) qui appartiendra à l’Académie française,
après un carrière aux Affaires étrangères comme ambassadeur en Bulgarie et
en Russie, devint sous - directeur des Affaires politiques en 1912, et enfin
secrétaire général du Quai d’Orsay, a publié en 1928, d’intéressants
Entretiens avec l’impératrice Eugénie. Il s’agit plutôt de révélations par
cette dernière, des dessous de la politique étrangère du Second Empire
jusqu’à la défaite de Sedan, en échange de réflexions personnelles du
diplomate, voire de confidences sur la période 1909-1914.
L’atmosphère Fin de siècle, était alors dominée par cette angoisse de
l’arrivée des « Barbares », en littérature comme en peinture, sur un fond de
décadence dont témoignent l’Héliogabale d’Alma-Tadema, étouffant sous des
roses, ses convives enivrés ou les Romains vautrés sur leur lits orgiaques,
peints par Thomas Couture.
La mèche fut allumée à Sarajevo par un Serbe, Gavrilo Princip et le feu se
répandit dans tout le réseau patiemment tissé des alliances.
En 1909, l’inquiétude était patente de voir l’Allemagne se préparer à la
guerre et le diplomate en témoigne, précisant toutefois que « le seul point
grave était, dans la péninsule balkanique, la rivalité croissante de
l’Autriche et de la Russie, cette dernière excitant en sous main la voracité
bulgare »; mais le scénario n’était qu’à l’état d’ébauche : « C’est la
plantation du décor, un lever de rideau ».
Bismarck avait pourtant déjà dénoncé « le coupe-gorge bulgaro-serbe», le roi
de Bulgarie nouant avec son petit royaume une coalition formée de la Grèce,
de la Serbie et du Monténégro. Assistait-on à une fuite en avant de
l’Autriche Hongrie avec sa politique d’annexion ou suivait-elle la politique
traditionnelle des Habsbourg ? Elle tenta de reprendre le contrôle de la
Bosnie-Herzégovine qui lui appartenait depuis 1718, puis fut annexée par les
Turcs. Après les insurrections de 1875 et 1876, la Russie, poussée par la
Serbie, attachée viscéralement à la Bosnie, intervint auprès de la Sublime
Porte. Les Turcs gardèrent la souveraineté de principe, mais c’est à
l’Autriche-Hongrie que son administration provisoire fut confiée, en 1878, à
l’issue du Congrès de Berlin, au grand dam de la Russie. La révolution Jeune
Turque de 1908 amena une nouvelle revendication et ce fut le prétexte d’une
annexion par l’Autriche Hongrie. Ce que n’admirent ni la Russie ni la
Serbie. Ce sera le casus belli.
Mais l’aventureux Guillaume II se lança la tête la première dans l’aventure.
Il cherchait à donner la première place à l’Allemagne dans le concert des
nations. Déjà son avance économique et industrielle la plaçait au second
rang derrière la Grande-Bretagne, avant la France, l’Italie et très loin
derrière, la Russie. Renforcé par sa victoire sur la France en 1870, poussé
par sa croissance démographique qui avait conduit au début du siècle à une
émigration vers les Etats-Unis, le Kaiser voulut accroître son potentiel en
se dotant d’une marine de commerce et de guerre et en menant une politique
colonial agressive. L’avancée diplomatique de l’Allemagne vers
Constantinople, s’accompagna d’une démarche commerciale: le marché turc fut
inondé de produits, « une pacotille allemande » s’exclama Pierre Loti,
injuste mais ulcéré ! Elle équipait aussi les chemins de fer turcs et son
projet de chemin de fer Berlin-Bagdad, menaçait la route des Indes. Ce que
l’Angleterre, touchée, en outre, dans sa maîtrise des mers, ne pouvait
souffrir. Le contexte familial renforçait l’antagonisme : Guillaume II,
depuis la mort de l’aïeule, la reine Victoria, s’estimait méprisé par ses
cousins anglais. M..Paléologue constate avec Eugénie : « Le Kaiser hait
l’Angleterre et par griserie, exaltation, place ses espoirs dans la Triple
Alliance ». Car en 1899, l’Italie s’était jointe aux empires centraux.
Les autres puissances s’organisèrent. L’Alliance franco-russe fut bien
acceptée dans les opinions publiques respectives, bien qu’elle apparut
contre nature dans les chancelleries surprises de voir une jeune République,
encore mal acceptée, s’allier à l’empire le plus autocratique, à peine
débarrassé des chaînes de la servitude. Mais la France avait besoin de lui
afin d’encercler l’Allemagne, et la Russie d’une force capable de contenir
la poussée autrichienne dans les Balkans. Elle avait aussi l’occasion de
régler un vieux compte avec l’Autriche. Lors de la guerre de Crimée, menée
par l’Angleterre et la France contre les Turcs, sous le prétexte de
préserver les lieux saints, Nicolas Ier devant la neutralité bienveillante
du jeune empereur François-Joseph, avait promis de la lui faire payer.
Imaginée depuis 1884, l’alliance se noua peu à peu au fil des visites
réciproques: ainsi en 1897, Félix Faure, président de la République, rendit
sa visite au tsar Nicolas II. Ce revirement fut populaire; le pont Alexandre
III remplaça dans l’imaginaire parisien le zouave du pont de l’Alma, comme
l’entremet franco- russe, la tour de Malakoff ! La réconciliation avec
l’Angleterre eut plus de mal à passer. La France y mit pourtant du sien avec
déjà l’abandon de ses prétentions sur l’Egypte, à son profit. Mais l’affaire
de Fachoda rafraîchit encore l’atmosphère sans parler de la guerre du
Transvaal en 1880 : l’opinion publique soutenait les Boeurs contre les
Anglais: le président Krüger était très populaire et la découverte de leurs
camps de concentration où les internés étaient nourris de boules de pain,
farcies d’éclats de verre meurtriers, révolta les Français. L’Angleterre fut
tenace: elle avait besoin, faute de conscription, d’une armée sur le
continent pour contenir sa rivale naissante. Pendant les guerres
napoléoniennes, on avait ironisé sur les seules troupes qu’elle ait envoyées
contre les Français et qui se bornaient à la cavalerie de Saint- Georges,
c’est à dire son or monnayé ! Une campagne de charme s’organisa et
l’impératrice douairière, Maria Féodorovna, confia à Eugénie « qu’Edouard
VII en fit une affaire personnelle ». Le réalisme finit par l’emporter.
D’ailleurs le président Emile Loubet, au moment le plus chaud de la rivalité
coloniale, avertit : « Peut-on imaginer une guerre économique ou militaire
avec une nation qui est la plus libérale d’Europe et vous achète 1400
millions de produits par an ». L’Entente cordiale fut entérinée le 8 avril
1904.
Car l’ombre des « territoire volés », selon l’expression du même président,
(discours de 1903) planait toujours, sur le paysage politique français,
comme un remords. Pour les républicains, leur restitution était inscrite
dans une sorte de pacte, passé par Jules Grévy, le 1er Mars 1871 au Théâtre
Louis, à Bordeaux, (pour mémoire 566 députés avaient voté la fin de la
guerre et 107 contre dont Clemenceau), avec les représentants des
départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin, de la Moselle, de la Meurthe, des
Vosges et 37 députés : «Nous déclarons d’avance comme nul et non avenu tout
acte, traité, vote ou plébiscite par lequel serait fait cession d’une
fraction quelconque de l’Alsace et de la Lorraine. Les citoyens de ces deux
contrées restent nos compatriotes et nos frères et la République promet une
revendication éternelle ».
Cette position de principe divisera les Républicains sur la politique
coloniale et Bismarck astucieusement, enfoncera le coin : il permettra à
Jules Ferry d’assumer le Protectorat de la Tunisie, ce qui poussera
Clemenceau à accuser le président du Conseil « de jeter l’Italie dans les
bras de l’Allemagne » . Clemenceau se déchaînera plus tard encore: « car
Jaurès s’était félicité que la politique coloniale ait servi en cette
période incertaine la paix en Europe, Jules Ferry ne pouvant engager la
France au Tonkin et à Madagsacar et l’exposer à un conflit avec monsieur de
Bismarck ». Il monte au créneau : « Jaurès se félicite d’un effroyable
massacre d’homme jaunes et noirs, accompli pour prendre leur patrie à
l’heure même où nous protestons le plus haut pour les droits de tous les
Français à la patrie française.» (in Le Bloc, 1901- 1902). Il continua; « je
reproche à Jules Ferry, par sa politique coloniale, de jeter nos hommes et
notre argent dans des exposition lointaines alors que nous en avons besoin
contre l’Allemagne … Nous devons constamment avoir notre œil centré sur la
ligne bleue des Vosges... Nous sommes les vaincus de 1870 » (in souvenirs et
témoignages sur Clemenceau).
Après ses tentatives éclatantes sur la scène internationale: coup de la
canonnière à Agadir, débarquement à Tanger en 1905 mais désavoué à la
Conférence d’Algésiras, fidèle à la politique de Bismarck, Guillaume II
laissa à la France le protectorat sur le Maroc, obtenant une compensation au
Cameroun.
Les alliances étaient donc nouées et elles ne laissaient pas d’être
dangereuse. Jules Grévy, président de la République depuis 1879,
s’inquiétait déjà de cette politique, auprès de l’intransigeant Gambetta: «
La France doit renoncer à l’Alsace, elle n’a pas besoin d’alliances qui
pourraient donner à l’Allemagne, prétexte à une agression ». Mais Sadi
Carnot, son successeur en 1887, renversa la vapeur et les pourparlers
reprirent.
Cette double alliance devint d’ailleurs le cauchemar de Guillaume II, après
avoir été celle de Bismarck : Ce dernier avait prévu que le pacte
Berlin-Vienne entraînerait l’Allemagne dans le « coupe-gorge balkanique » et
il préconisait immédiatement, en contre-partie, un pacte
Berlin-Saint-Pétersbourg. Sinon ce serait « le retour des pays annexés à la
France ». Conscient enfin du danger mais toujours obsédé par sa haine, le
Kaiser proposa à Nicolas II, de « substituer à cette sotte alliance
franco-russe, une belle coalition germano- russo-française pour casser les
reins à l’Angleterre et écraser ce sale petit Japon ». Il espérait d’autant
mieux être entendu que la Russie venait d’être humiliée, en 1906, dans sa
guerre contre le Japon auquel elle voulait reprendre des territoires de
Mandchourie. Mais cette tentative de l’Allemagne ne put se concrétiser et
Maurice Paléologue, dans une confidence à l’impératrice Eugénie, en fut pour
ses espoirs: « Dans un avenir plus ou moins proche, la paix sera mise en
péril et des éventualités nouvelles apparaîtront sur l’échiquier politique :
l’Allemagne ayant besoin de notre aide ou de notre neutralité, mais le prix
à payer étant la révision du Traité de Francfort ». (Traité qui cédait les
deux provinces à l’Allemagne.)
On peut se poser la question de savoir si les alliances ne furent pas
imaginées comme des manœuvres de dissuasion ou d’intimidation, propres à
engendrer une véritable négociation. Une phrase d’Emile Loubet, en 1903,
laisse percer toutefois l’impuissance : « La revanche devient de plus en
plus hypothétique, tout à fait impossible par l’action directe. Ce n’est pas
moins l’espoir de la restitution des territoires volés qui est au fond de
l’âme française ».
Mais Guillaume II ne saisit pas l’occasion de paix et poursuivit son rêve
d’hégémonie toute puissante. Sa personnalité ne faisait plus illusion : le
baron de Courcel, ancien ambassadeur à Berlin et à Londres, dans une
confidence à Paléologue, résuma la situation : « La différence avec
l’Allemagne de Bismarck : perte de prestige et de puissance; si tant est que
ce soit encore le Reich des Hohenzollern, il évolue irrésistiblement vers
son déclin. Par son étroite union avec l’Autriche-Hongrie, l’Allemagne est
impliquée désormais dans l’imbroglio balkanique ».
L’impératrice Eugénie prophétisait aussi une autre dislocation : «
François-Joseph ne croit pas que l’empire lui survivra ».
L’attente d’une guerre plana sur tout le septennat d’Armand Fallières, de
1906 à 1913. Cette dernière année, la France porta la conscription à 3 ans -
l’Angleterre ne l’instituera qu’en 1916- tandis que le Kaiser préméditait
depuis longtemps la domination technologique et militaire de son empire:
Krupp, dans ses usines d’Essen mettait en œuvre, en 1899, le plus gros
obusier de l’époque: surnommé la Grosse Bertha, il fauchera 256 personnes à
Paris, à la fin de la guerre . . . Car elle finit par avoir lieu !
La seule surprise tient à la date de son déclenchement - Guillaume II partit
même en croisière - parce qu’aucun diplomate n’avait imaginé que la petite
Serbie put résister à l’ultimatum implacable de l’Autriche- Hongrie, du 28
juin 1914. Il prévoyait de poursuivre directement, en violation de la
souveraineté serbe, les assassins de l’héritier, l’archiduc
François-Ferdinand. Mais les chancelleries avaient oublié que Nicolas II
s’était un jour exclamé «S’il n’y avait qu’un seul Serbe en danger, je serai
là pour le défendre ». Le mécanisme des alliances n’avait plus qu’à se
mettre en route avec la cascade des déclarations de guerre…
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L'impératrice Alexandra
Maurice Paléologue
L'Impératrice Eugénie
Jules Grévy
Félix Faure en Russie
Arrivée des souverains à Cherbourg
Edouard VII dans les tribunes de Longchamp
Les 4 prince du Kronprinz en uniforme
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