La région et le pouvoir
La région et le pouvoir
par
Annie Krieger
Docteur en Droit
Maître-assistant à l'Université de Paris IX - Dauphine
Chargée d'enseignement à Paris III (Sorbonne Nouvelle)
Alors qu’en 2014, un découpage de la carte des régions suscite
réflexions , polémiques et passions, nous nous sommes souvenus que la
mise en place, en 1972, de la région alors simple
établissement public, avait suscité les mêmes réactions et les
mêmes violentes controverses .La suppression des départements
était alors en question . Le fonctionnement même de
l’institution posait des problèmes, au point que nous avions entrepris une
enquête, plus de deux ans après sa mise en place, auprès des
différents acteurs de la politique locale. Nous avions interrogé
trois présidents de région : André Borde, ministre des Anciens combattants
pour la région Alsace, Edgar Faure , président de l’ Assemblée nationale
et président de la région Franche- Comté et André Chandernagor , président
socialiste du Limousin . Après des tâtonnements, il apparaissait
que le statut laissait à désirer. Toutefois les problèmes restèrent
intacts après que la région fut passée d’établissement public à la
collectivité locale de plein exercice grâce à la loi Deferre
sous le septennat de François Mitterrand. Nous donnons quelques
extraits de notre article qui fut publié dans les Mélanges Georges
Burdeau, en hommage au professeur de droit à Paris II , auteur
d’un traité de science politique de douze volumes faisant autorité et
directeur d’une collection « Comment ils sont gouvernés »
Après plus de deux ans de fonctionnement, il était tentant de
dresser le bilan des institutions régionales créées par la loi du 8
juillet 1972. Mais les matériaux de cette entreprise ont été difficilement
dégagés. La difficulté tient, sans doute, au fait que le terme « région »
est chargé de redoutables résonnances, même pour ceux qui ont pour mission
de suivre le canevas de 1972.
On peut certes l'envisager sous l'aspect classique que véhicule le mot de
décentralisation : se dégager de « la pesanteur administrative » selon
Michel Poniatowski, ministre de l’Intérieur, en 1975. On peut y voir, aussi,
soit une nostalgie inconsciente de la province maternelle, soit plus
carrément un moyen à remonte-temps. L'éventail des tendances, allant du
jacobin de droite ou de gauche, jusqu'au girondin maurrassien ou
proudhonien, s'ouvrit largement jusqu'à ce qu'un discours du Président de la
République, Valéry Giscard d’ Estaing , le 24 novembre 1975, devant l’
assemblée inter – régionale Rhin – Rhône, n'en fasse se replier les
feuillets à la portion définie strictement par la loi de 1972. « Le rôle de
la région n'est pas d'administrer elle-même, ni de gérer elle-même, ni de
substituer « son intervention au pouvoir de décision des collectivités
locales. » Les Cent Fleurs de la région ou de l'antirégion ont été fauchées
après un été bref.
Le pouvoir régional ? Mais il est mort, a-t-on pu dire après le
point final posé à Dijon à ce déferlement imaginatif. Mais est-il enterré ?
La question s'est posée après l'élection à la présidence de la Région
lorraine de M. J.-J. Servan-Schreiber, père du livre , le Pouvoir régional.
S'agissait-il d'un revirement politique sur le thème si mouvant de la
région, ou bien l'idée se faisait-elle jour d'une insertion régionale dans
la trame du Parlement européen ? En toute hypothèse, hypersensible et
rétractile, l'établissement public s'est refermé sur lui-même et son aspect
institutionnel est resté discrètement voilé. Mais cette attitude de retrait
prouverait a contrario, si c'était nécessaire, le foudroiement d'un seul
discours et le retentissement politique du concept. Nous avons alors pensé
qu’une étude sur le terrain s’imposait et qu’il importait de
recueillir les avis de présidents de région sur leur expérience . Nous
avons donc rencontré pour la région Alsace , André Bord , pour
la Franche-Comté, Edgar Faure , président en outre de l’ Assemblée nationale
et; André Chandernagor pour le Limousin, ainsi que des présidents et des
membres des conseils économique et sociaux, en tentant de faire une
synthèse de ces déclarations différentes et parfois antagonistes
. Ce nous a amené à dégager deux hypothèses pour le pouvoir
régional .
I. — D U POUVOIR DANS LA REGION .
La région de 1972 serait une « des
rares institutions françaises qui soient nées du compromis » selon Olivier
Guichard dans une déclaration au Monde du 7 octobre 1975 : «
Aller plus loin ». Ce serait oublier le département qui l'a échappé belle,
compromis lui aussi, finalement heureux, entre le carré parfait,
ignorant le relief et l’hydrographie, imaginé par le technocrate
révolutionnaire sous la Constituante et les contours de la province
familière. « Version abâtardie d'une idée conçue par le général de Gaulle »
selon le même homme politique. Ballotée par le flux et le reflux de la
décentralisation et de la déconcentration, la région s'est donc échouée au
bord timide de la décentralisation technique.
1 ) HEURS ET MALHEURS DE L'IDÉE RÉGIONALE.
Collectivité locale à dominante économique, dans le référendum de 1969,
union de départements imaginée par George Pompidou, l'ambitieuse « regio »
de la romanité, qui signifiait contrée, mais aussi direction, « desinit in
piscem », sous forme d'établissement public spécialisé.
Historiquement, le terme régional apparaît en 1538, rarement d'ailleurs,
émerge plus fréquemment en 1848, et 1875 voit apparaître l'expression «
régionalisme ». En 1906, dans son Enquête sur la Monarchie, Charles Maurras
espère soulager la France de son étouffement en la décentralisant. Mais
seule la monarchie peut le tenter, car les républicains ne tiennent que par
la centralisation : l'élu tient de près son électeur grâce au fonctionnaire,
en « une chaîne administrative de sûreté » .Dans cette Enquête ,
le chef du bureau politique du duc d’ Orléans s’exprimera
d’ailleurs ainsi : « Je suis tranquille ce n’est pas de
décentralisation que mourra la France » .
Décentraliser, pour Maurras, c'est la grande idée du nouveau siècle, aussi
importante que pouvaient l'être pour le l’Ancien Régime, la constitution
des communes et la vie corporative.
Le régime de Vichy avait amorcé une
tentative d'application des idées maurrassiennes. Dans son message du 11
juillet 1940, le Maréchal Pétain envisageait de placer des gouverneurs à la
tête de grandes provinces françaises
et pensait déconcentrer et décentraliser l'administration. Mais Joseph
Barthélémy mettrait les choses au point : le plan du régime n'était pas de
décentraliser, mais de déconcentrer. Toutefois Charles-Brun avait lancé
l'idée d'un Conseil provincial de 30 à 40 membres, chargé de veiller au
salut « des valeurs spirituelles et économiques ». Le gouverneur, idée de
Pétain, sorte de commandant de corps d'armée, voyait finalement le jour, le
19 avril 1941, sous forme de préfet de région ; région qui était un échelon
entre le gouvernement et le département, un centre coordonnateur pour
l'information du Chef de l'Etat et l'exécution de ses directives, et le
règlement sur place de certaines affaires .
Le terme de région restera donc longtemps lié à un régime qui remettra aussi
à la mode les vieilles provinces françaises et leur folklore de danses et
de chants. Il sera donc banni pour longtemps, car la Libération utilisera
les Commissaires de la République. Et la IVème République en arrivera à
fabriquer des Inspecteurs généraux de l'administration en mission
extraordinaire. Dans cette fuite devant le mot, on atteindra le comble de la
monstruosité linguistique, en faisant se mouvoir, tels de fabuleux sauriens,
les « Igames » dans « leurs Igamies ». En 1955, un décret du 30 juin, dans
le cadre de l'Aménagement du territoire, crée le programme d'action
régionale, avec 21 régions de programme ; en 1960, 21 circonscriptions
d'action régionale, avec un préfet coordonnateur. Il faut attendre les
décrets de mars 1964 pour que la pudeur politique ne s'effarouche plus
devant ce mot : le préfet de région surgit des circonscriptions d'action
régionale. Enfin, le terme n’est plus tabou et s'inscrit dans l'article 2
du projet de loi proposé au référendum de 1969 par le général de Gaulle .
Pour le Général de Gaulle, la région porte « le véritable changement des
conditions morales et sociales de la condition de l'homme ». Pour J.-J.
Servan-Schreiber, ce fut « la dernière intuition du général de Gaulle »( In
Le Pouvoir régional ). « La bataille de cette génération est celle de
l'équipement du pays, de la responsabilité des citoyens, de la confiance en
l'homme, de sa capacité d'autodétermination. Il s'agit du pouvoir de
décision dans la région. ». Les opinions s’affrontèrent . Michel Debré
parla de la mort de l’Etat républicain , P Mendès – France au contraire,
dès 1962, avait réclamé cette république moderne.
La région fut, pour Maurras, l'idée d'un siècle commençant. Pour le Général
de Gaulle et J.-J. Servan-Schreiber, l'ultime espérance d'un siècle à son
nadir.
La controverse sur ce projet de 1969 mettait toujours aux prises, partisans
de grandes régions et de grands départements. Le gouvernement
craignait que, par des régions à l'échelle européenne, l'unité nationale pût
un jour être mise en cause. Jean- Marie Jeanneney le pensait aussi . (
in Aménagement du territoire et réforme régionale en 1969
. La circonscription fut jugée trop petite et dotée d'une assemblée
hétérogène, mais la critique de la doctrine porta surtout sur la
philosophie qui refuse d'admettre en fait la décentralisation. On veut
gouverner de Paris, tout en voulant décentraliser. Etat d'esprit « jacobin
» qu'un proverbe anglais paradoxalement illustre parfaitement à notre
point de vue : « vouloir garder son gâteau et le manger ». Edgar Pisani
dans « La région pourquoi faire ? écrira, usant d’un
néologisme : « Ni jacobins , ni girondins , jacondins »
2) LE COMPROMIS « BATARD » DE 1972.
Bâtard soit, l'établissement de 1972. Mais,
d'après les propres mots d'Olivier Guichard, ce sont les bâtards les plus
vigoureux. Puisque, selon lui, la décentralisation est la dernière tâche
politique de ce dernier quart de siècle, puisque la multiplicité des
communes rendait difficile l'exercice d'un pouvoir local à ce niveau,
puisque le « néo-départementalisme » à la Pompidou était lettre morte, il
restait au législateur à ramasser les morceaux désagrégés par le non au
référendum de 1969 et à recoller prudemment ce qui avait pu être sauvegardé
de l'idée régionale.
Hardiment toutefois, J.-J. Servan-Schreiber suspendait les seuls drapeaux
frappés de la Croix de Lorraine dans la salle de réunion du parti radical à
Nancy et proclamait « le début de la guerre coloniale en France ».
Le pouvoir régional était à qui voudrait le prendre.
Ce fut pourtant « l'esprit de prudence et d'expérimentation » de
Georges Pompidou , loué par Jacques Chaban – Delmas à la réunion
des vingt- quatre présidents des conseils généraux et des
conseils économiques et sociaux du 24 novembre 1974, qui
l'emporta, caractérisant le fonctionnement des institutions nées en 1972.
A) LES RAPPORTS DE POUVOIR ENTRE LES ORGANES INSTITUTIONNELS.
a) Les conflits de légitimité.
De la chrysalide de la circonscription régionale était issu l'établissement
public, passablement hybride dans sa constitution.
Deux forces en présence : l'organe délibérant, comprenant députés et
sénateurs, ainsi que les représentants, au deuxième degré, des collectivités
locales. En face, l'assemblée consultative, représentative d'intérêts
socio-professionnels, économico-culturels et sportifs, chambre corporatiste
reprenant à l'échelon local le Sénat imaginé en
1969. Représentative des groupes de pression, elle peut avoir tendance à
s'opposer au mini-parlement qu'est le Conseil régional.
D'emblée d'ailleurs, la charte établie par le conseil régional d'Alsace, le
28 janvier 1974, avait délimité prudemment les rôles respectifs du comité
économique et social et le sien propre, afin de « préserver l'indépendance
de jugement et les prérogatives de chaque assemblée et d'éviter un
empiètement de l'un sur l'autre ».
Le comité tint aussitôt à marquer son indépendance d'esprit en se réservant
un large délai jusqu'au 5 avril, avant de ratifier, à une très large
majorité, cette charte à laquelle il voulait bien adhérer, mais qu'il
n'acceptait pas de subir.
Il semblait donc que des conflits de légitimité fussent inévitables entre
ces deux entités : la chambre consultative devant mal se résigner à un rôle
de second plan à une époque où l'on constatait la fin du régime des partis
et l'avènement de la république des groupes de pression.
Le problème de ces rapports a été posé par le président du Conseil régional
du Centre, alors M. Raymond Boisdé, député, maire de Bourges et ancien
ministre : « Y aura-t-il entre le Conseil régional et le comité
économique et social, coopération loyale et profitable ? » Inspiré par un
esprit d'ouverture, le président indiquait que les instances dirigeantes
avaient accueilli « les représentants des forces vives
socio-professionnelles... dans une ambiance propice à la réussite » des
travaux combinés entre le conseil exécutif et le comité consultatif, ce qui
permet « d'étendre les relations humaines ».
Un tel écho de relations humaines détendues est parvenu de la région
Rhône-Alpes, par l'intermédiaire du président de la commission Rhin-Rhône,
M. Louis Joxe.
C'est toutefois un certain désenchantement que nous a exprimé
personnellement M. A. Bord, Ministre des Anciens Combattants et
président de l'établissement public Alsace. Alors que, pour lui, la région
devait être lieu de rencontre de toutes les tendances, pour faire décoller
l'économie alsacienne, l'opposition à laquelle se livrent les réformateurs,
au sein même de la majorité, crée un climat de guerre qui nous semble
picrocholine. Paradoxalement, des dossiers mineurs servent de machines de
guerre et les dossiers les plus importants passent avec une déconcertante
facilité. Pessimisme aussi devant la politisation du conseil, tandis que le
président de la région Franche-Comté, Edgar Faure, habitué, lui, au
maniement des mouvantes assemblées de la IVème république, nous a paru
trouver satisfaisant ce « profil politique ».
En Alsace, en effet, l'introduction de parlementaires à stature
nationale et de leurs méthodes a entraîné la monopolisation des rapports
importants, le jeu des convoitises et des manoeuvres pour atteindre la
présidence des commissions. Une « intoxication » des élus locaux les a
conduits à se perdre dans une agitation politique peut-être étrangère aux
vrais intérêts de la région. La violence des affrontements au sein même de
la majorité a gagné le comité économique et social, voulant faire la leçon
aux élus, dressant un catalogue des revendications, refusant de suggérer des
modes nouveaux de financement. Après ces débuts jugés désastreux, le bureau
du conseil a refusé de céder à la pression des intérêts corporatistes. Puis,
une procédure, unique en son genre, de collaboration entre le C.E.S.. et le
conseil a vu le jour : l'aboutissement en a été la création du fonds
régional d'intervention, capable d'agir, en temps record, dans tout secteur
en péril. Dans un esprit de conciliation, une procédure a été établie : le
bureau du conseil régional reçoit une délégation de pouvoirs pour une
opération et donne le feu vert au fonds d'intervention. Les membres du
C.E.S.. ont été associés aux délibérations et aux prises de décision. En
dépit de cette politique de la main tendue, ils se sont retirés sur
l'Aventin, au moment de la préparation du budget : le CES avait proposé
25 francs par habitant. Le conseil régional se borna à 15 francs.
(Même opération d’ailleurs dans la région Rhône- Alpes !)
Ce tableau paraîtrait poussé au noir si les revendications des C.E.S. auprès
du gouvernement, en février 1976, n'apportaient la preuve que « tout le
monde n'est pas aussi beau, ni aussi gentil » que les échos de Rhône-Alpes
ou de Franche-Comté pouvaient le faire supposer. Mais peut-être est-ce une
constante du caractère alsacien de ne rien céder jamais des difficultés et
de les mesurer en face, puisqu'aussi bien la communauté alsacienne est le
fruit un peu amer des « vicissitudes historiques et d'épreuves » selon le
rapport du Conseil régional d’ Alsace en janvier 1974.
Dans l'Intendance qui fut celle
de Turgot, André Chandernagor s'est livré, devant nous , pour le Limousin, à
un exposé aussi pessimiste que celui de l'alsacien André Bord, mais pour des
raisons tenant à l'essence même de la loi et non pas à son application.
Sur ce dernier plan, c'est la lourdeur du système qui est mise en
accusation. En outre, les choses se sont gâtées avec le C.E.S., présidé par
un entrepreneur de Brive, et qui serait le relais des volontés du préfet,
par manque d'indépendance ou par mollesse. Pour la préparation du budget,
les dossiers et les suggestions du conseil régional sont mal accueillis. Or,
le deuxième enjeu de la décentralisation est la neutralisation du
capitalisme. D'où la plus grande réticence à l'égard du conseil économique
et social.
Avec la Franche-Comté, dont le président est M. Edgar Faure, une autre
acception se fait jour : celle du respect de la loi de 1972 dans une
pratique particulièrement gratifiante. La plus parfaite harmonie règnerait
entre les assemblées, les décisions étant prises à l'unanimité. La
personnalité du président, — contre lequel a pourtant été suscité une
candidature de gauche, — tend à la conciliation. Dans les commissions règne
une heureuse répartition des groupes politiques. Une commission déléguée
pendant les inter-sessions prend les décisions financières de gestion
administrative. Durant la session, siège un comité inter-assemblée de 24
membres, pris par moitié dans le conseil et le comité économique et social.
C'est là que fermenterait le levain de la pâte régionale. Une union sacrée
scelle toutes prises de décision. Si l'unanimité n'est pas obtenue, c'est
qu'il y aurait de la maladresse dans la présentation des dossiers des autres
régions .Pas d'antagonisme entre conseil régional et comité, même si ce
dernier n'a pas été d'accord sur la création d'un fonds d'intervention dans
le domaine de l'emploi. L'accord porta sur le principe, mais le comité
refusa d'admettre l'urgence : cela tiendrait à une simple « incompréhension
de la motion ».
On peut se demander si l'optimisme des délibérants est
partagé par les « consultants » et si le pessimisme dont faisait preuve
André Bord, n'était pas l'expression de la simple lucidité. Les C.E.S., en
effet, dans un document en huit points soumis au gouvernement, ont fermement
réclamé l'application stricte de la loi de 1972 en ce qui concerne leur
consultation, se plaignant d'être traités en quantité négligeable. (
Exception faite de la région de la Loire qui serait exemplaire !) .
Philippe Lamour, président du comité économique et social du
Languedoc-Roussillon, va jusqu'à trouver dans le Monde du 11 février
1976 que « les parlementaires ont moins leur place » au sein du conseil que
les délégués des conseils généraux et les présidents des syndicats
intercommunaux .
Il est surtout à craindre que le peuple- pourtant souverain - ne se lasse de
ces jeux de princes.
b) Le rôle ambigu du préfet.
Aura d'ambigüité autour du préfet : est-il à la tête de
l'exécutif-région, ou, selon les textes, se borne-t-il à n'être que
l'exécutant docile des délibérations du conseil régional ? N'est-il pas le
premier personnage local, effaçant tous les autres, au point qu'un sondage
de 1969 avait démontré que les Français ignoraient jusqu'à l'existence du
président du Conseil général. Ils citaient même, après le préfet et parmi
les personnalités les plus importantes du département, le général et
l'évêque, mais oubliaient le président de leur principale instance. Avec
l'accession de personnalités politiques de premier plan à la présidence de
l'établissement public « région », le conflit semblerait inévitable avec ce
personnage écrasant : le préfet.
Or, curieusement, dans l'entourage du président Edgar Faute, on souhaite un
préfet qui prenne des initiatives et soit un animateur. Il faut qu'il soit
le moteur qui lance des idées nouvelles. C'est là courir un risque bien
grand. Car si un préfet sort de l'ombre discrète où le cantonne la loi de
1972 et prend des initiatives personnelles et hardies, un président du
conseil régional actif et énergique pourrait en prendre ombrage. Surtout si
le levain doit être « extérieur à l'administration ».
En Alsace, la présence d'un préfet coopérant et compréhensif est jugée
satisfaisante, mais ce sont les effectifs de la mission qui sont estimés
squelettiques, ce qui pousse le conseil à s'adresser, pour la préparation
d'études, à l'Université. Dans Rhône-Alpes, les opérations des services
administratifs sont jugées, par contre, parfaitement adaptées à leur rôle,
grâce à la parfaite composition de la mission.
Exercice donc d'une magistrature morale à l'image des présidents de la IVème
? ou bien exercice réel du pouvoir par le préfet, moderne maire du Palais ?
L'instruction des dossiers laissée au préfet, les rapports présentés au
conseil régional et préalablement établis par la mission régionale et les
services qui l'assistent, risquent comme au sein du département, de déplacer
la réalité du pouvoir en sa faveur. Et il n'y aura pas, pour brider ses
initiatives, de commission départementale.
Peut-il se contenter, après l'instruction des affaires (Art 6 de la loi de
1972), de rendre compte chaque année ( Art 10) au conseil régional de
l'exécution du plan dans la région, ainsi que des investissements d'intérêt
national ou régional réalisés par l'Etat ou avec son concours ?
Il reste toutefois chargé de la préparation du budget et de son exécution,
l'ordonnateur des dépenses. Et l'étude des établissements publics a démontré
que la réalité du pouvoir appartenait à ce dernier, c'est-à-dire au
directeur désigné par le ministère de tutelle, assisté de services
administratifs, face à un conseil d'administration composé de membres plus
ou moins représentatifs selon des observations générales ( IN Thèse
sur l’ Agence des biens et intérêts des rapatriés, Annie
Krieger- Krynicki ).
Seule, l'élection d'une personnalité politique de premier plan à la
présidence régionale, permettrait de rompre ce schéma fatal : le circuit
décisionnel tournant autour de trois entités : le ministère de tutelle
envoyant l'impulsion, la direction l'enregistrant, la répercutant pour la
forme au conseil d'administration qui joue le rôle d'une caisse de
résonance, puis la renvoyant au ministère. Quelquefois, l'impulsion est
renversée, partant de la direction vers le ministère avec court-circuitage
du conseil.
N'en déplaise au président du conseil économique et social du
Languedoc-Roussillon, la condition de l'efficacité et même de la survie de
l'organe délibérant est dans la présence, en son sein et à sa tête, de
détenteurs de la souveraineté nationale.
D'autant plus que le préfet ne se borne plus, dans la dernière acception de
son rôle, à être un exécutant, le représentant du gouvernement chargé du
maintien de l'ordre. Il est devenu l'animateur, le « manager », « l'homo
economicus » du département, selon Roger Dumoulin préfet
du Jura ( in Revue Administration juin – septembre 1974)
Au niveau de la région, tournée toute entière vers le développement
économique, l'impulsion régionaliste du préfet va accroître sa prépotence.
Cette conception est encore fortement enracinée, comme le prouve cet extrait
du discours d'Edgar Pisani, alors préfet de la Haute-Marne, pour le cent
cinquantenaire de la loi de Pluviôse An VIII, soit pour l’anniversaire de
la création du corps préfectoral. : « Au cours de cinquante ans
d'existence, la fonction préfectorale a été critiquée, parfois menacée. Les
mêmes hommes politiques passés de l'opposition au gouvernement l'ont
malmenée, puis soutenue. Elle assure dans les départements la permanence des
impératifs nationaux, au travers de la succession des exigences politiques.
Elle a ainsi évité à la France la catastrophique succession de désordres et
de tyrannies à laquelle l'aurait conduite la succession inévitable de
directoires trop bavards et impuissants et de commissions extraordinaires,
efficaces mais trop brèves. »
Ce brevet de légitimité, d'efficacité et de « virtus » sauvera-t-il le
préfet du sort que lui destinent J.-J. Servan-Schreiber ou André
Chandernagor ? Pour le premier, sa suggestion au parti radical était la
suivante : le président du conseil général se substitue au
préfet , remplacé par un commissaire du gouvernement.
André Chandernagor nous a exposé que le peuple se heurte à l'indifférence
du pouvoir central. C'est seulement au niveau régional où l'impact de la
décentralisation est le meilleur, qu'il pourra être défendu contre le «
lobby parisien ». Hostilité donc à ce pouvoir du centre dont « le poids
politique est trop pesant ». « Tout est au duc. » « Pouvoir central
omni-puissant servi par un corps de « préfets en gilets rayés » selon son
expression polémique . Critique du préfet, qui reprend parfois pour son
compte les idées émises par le conseil régional, qui dirige l'octroi de
contrats de pays vers les villes bien pensantes : Bort-les-Orgues et Bellac.
«Les Français sont toujours des sujets que la perspective de leurs libertés
effraye. » Une seule solution : un commissaire du gouvernement assurant le
respect de la légalité. Défenseur de la loi, il serait détenteur du pouvoir
de police. L'unité serait assurée dans le pays grâce à la loi. Le Plan
serait « concerté au niveau régional », sans clé de répartition de crédits
entre les régions. L'Assemblée nationale assurerait l'arbitrage. Le pouvoir
régional serait entre les mains d'un président élu, d'un bureau et d'une
assemblée unique élue au suffrage universel.
Mais, actuellement, face au préfet imbu de la conception héritée de la loi
de Pluviôse, bien que repoussé dans l'ombre par la loi de 1972, se dresse un
président qui n'est pas seulement l'élu d'une assemblée elle-même élue au 2e
degré.
Sur vingt-et-un présidents de conseils régionaux, les trois quarts sont les
représentants du peuple souverain, élus au suffrage universel. Investis de
cette légitimité, ils sont doublement selon l’expression médiévale
,« souverains fieffeux » en leur province.
c) La tentation des mini-parlements.
Au niveau de la région, on assiste à une sorte de miniaturisation des
institutions nationales. Les conseils régionaux sont les reflets de
l'Assemblée nationale et les présidents prennent volontiers, comme chef de
file, le président de l'Assemblée nationale, tandis que les comités
économiques se réfèrent plus volontiers à l'exemple du Conseil économique et
social.
Le règlement intérieur des assemblées reflète d'ailleurs assez bien ce
mimétisme. On peut prendre, parmi d'autres exemples tout aussi
significatifs, celui de la région Rhône-Alpes.
Le bureau du conseil régional est composé d'un président et d'un bureau de
seize à vingt-quatre membres élus à la proportionnelle des groupes déclarés
: il faut six membres pour constituer un groupe. Le bureau est chargé de la
coordination des travaux dont la préparation est confiée à des commissions
de dix membres, travaillant et délibérant en séances privées.
Ce sont des commissions semblables à celles du Parlement : elles sont dites
des affaires économiques, sanitaires et sociales, de l'urbanisme et de
l'habitat, de l'agriculture et de l'aménagement rural, des affaires
financières et budgétaires, des équipements touristiques et sportifs, de
l'éducation, recherche et affaires culturelles, de la planification et de
l'aménagement du territoire.
Si la répartition des membres entre les commissions ne s'effectue pas en
fonction d'un consensus entre les groupes, elle a lieu à la proportionnelle.
Une délégation de pouvoirs, limitée à un ou à des objectifs strictement
précisés, est effectuée au profit d'une commission permanente de huit
membres élus, représentant chacun un département, de présidents de
commissions organiques, de représentants de chaque groupe. Elle pourrait
jouer le rôle de la commission départementale. Mais le président du conseil
régional en est ici, de droit, président. L'ordre du jour est fixé par le
conseil. Le préfet, tel un ministre, a accès au conseil et répond aux
questions orales ou écrites.
Le règlement du comité est calqué sur le même schéma : A côté du bureau, le
rôle essentiel est joué par des commissions « intérieures et d'études », au
nombre de huit, qui travaillent sur des dossiers instruits par le préfet et
ses services. Un des griefs principaux énoncés en février 1976 par les
C.E.S. tient à la préparation minutieuse des rapports négligés par le
conseil régional ou utilisés sans aucune considération pour l'effort fourni.
Si un aménagement est souhaitable au niveau des rapports entre les organes
des régions, sous peine de blocage, de désintérêt, voire d'absentéisme, la
politisation des assemblées est une donnée constante, inévitable et même
souhaitable à la limite, pour l'équilibre des forces. Le cumul ou le
non-cumul des mandats n'apportera aucune solution à ce problème. Le
non-cumul fut souhaité par André Bord.Il ne se représenta que pour rétablir
l'équilibre politique de l'Est, après l'élection de J.-J. Servan-Schreiber à
la présidence de l'établissement public Lorraine.
La démonstration est donc faite du platonisme de ce voeu, partagé par A.
Chandernagor. Mais c'est oublier que, sous la IVe par exemple, il était
constant dans certains départements que le président du conseil général ne
fut que l'écho timide d'un élu national, souvent ministre. Le président de
Franche-Comté croit au réalisme du cumul, qui n'empêcherait aucune vie
locale politique d'émerger.
La mise en route de l'établissement public est donc un problème d'un ordre
tout différent. A ce sujet, M. Raymond Boisdé avait signalé que « chacun
devait avoir à l'esprit » que « ces institutions présentaient une nouveauté
dans un pays centralisé ». Une adaptation est donc nécessaire pour éviter
les grincements de ces rouages encore mal accordés parce que en rodage.
Mais, contre la chronicité d'un évolutionnisme perpétuel, le Premier
Ministre Jacques Chirac s'est élevé vigoureusement, le 3 juillet 1975,
s'adressant en Lorraine aux conseils régionaux et aux membres du comité : «
Il ne faut pas céder à la tentation de modifier en permanence les
structures. » L'hostilité était manifeste à l'égard de certaines
revendications en faveur de l'élection du conseil au suffrage universel.
Le principal mérite de la loi, ou mieux « sa petite étincelle » selon le s
termes d’ Olivier Guichard , aurait été de placer, à côté du « système
hiérarchique, des collectivités publiques en prise sur trois étages, des
établissements publics, véritables confédérations de collectivités, et non
des collectivités territoriales ». Le but de la loi aurait été d'ouvrir la
voie au déblocage du système, en permettant à la régionalisation « d'évoluer
au fur et à mesure des possibilités » . C’était aussi l’opinion de
Roger Partrat , député de l’ Union centriste de la Loire, émise lors
d’un colloque tenu par l’université de Saint- Etienne le 18 novembre
1975.
Mais, avant la mise en oeuvre de cet évolutionnisme, la préoccupation
latente qui ressort des rapports des conseils et des comités économiques et
sociaux est peut-être la justification de leur région. Pour Edgar Faure, en
Franche-Comté, c'est l'action qui démontre l'existence et non la théorie. Le
« Centre », selon Raymond Boisdé, est à la recherche d'une image de marque.
Pour le préfet de la région Rhône-Alpes, les assemblées régionales doivent
être un forum où s'instaure un dialogue fructueux des élus et des
représentants socioprofessionnels. L'accent doit être mis sur l'information
par le biais d'un journal spécialisé, « Liaisons Rhône-Alpes ».
« La région, il faut d'abord lui
donner une âme » s’était écrié le député Partrat . L'Alsace n'est pas
tourmentée par ces problèmes existentiels. Son essence précède son existence
régionale. Mais son conseil souhaite acquérir « une autorité morale ».
Cette quête de l'identité, la recherche de la justification par l'action,
l'élaboration d'une conscience collective au niveau régional, feraient à la
limite douter de l'existence même de la région. Et cette laborieuse approche
justifierait presque l'exclamation de J.-M. Jeanneney : « La région ne peut
sortir que d'une évolution-choc « et non d'une procédure évolutive et
pragmatique. »
En tout cas, conseillers et membres des comités, pour la plupart, se
refusent à ce que la région ne soit qu'un « rouage dans un relais destiné à
faciliter la politique de l'Etat » selon Camille Valin , maire
communiste de Gisors , mais tendraient plutôt à ce qu'elle soit un
relais important du pouvoir central.
Il. – L A REGION A LA RECHERCHE DU POUVOIR .
L'absence de conscience régionale est
certes inexacte pour la Bretagne, l'Alsace, la Lorraine, les provinces
occitanes. Mais autour de quel archétype peuvent s'unir, dans la région
Rhône-Alpes, Ardèche et Drôme, Isère et Rhône, Loire et Ain, Haute-Savoie et
Savoie. Il ne peut y avoir que coalition des pauvres contre les riches
départements, des élus de la châtaigne ardéchoise et de la noix grenobloise
selon la formule du doyen Georges Vedel .
Cette disparité des établissements tient au fait que l'on n'a pas osé
trancher le noeud gordien, choisir entre les trois régions imaginées par
Pierre Massé, commissaire général au plan en 1964 : l'axe du
Nord Méditerranée, la région parisienne, l'ouest à industrialiser, créant un
hinterland aux ports et un néo-provincialisme dénoncé par
Charles Montreuil , président du Comité économique et social
de la région Rhône- Alpes : « Nous inventerions 180 ans plus
tard, une petite provincialisation . Ce qui serait donc une autre
erreur car les siècles ont passé ».
« En ne dérangeant personne, la région peut unir tout le monde », proclamait
l'optimisme d'Olivier Guichard, que ne semblèrent pas conforter les
soulèvements de type autonomiste corse ou F.L.B., les revendications de
l'Occitanie ou, inversement, l'inquiétude des collectivités classiques
devant la place trop modeste, ou trop hardie selon, que cherche à se tailler
la région.
1) LA RÉGION CONTRE LE DÉPARTEMENT.
En septembre 1975, en l'île de la Réunion, les présidents de conseils
généraux votèrent, à l'unanimité moins trois voix, une motion dénonçant
toute éventuelle modification de la loi de 1972 et qui tendrait à ôter au
département son rôle d'élément de transmission privilégié entre « l'Etat et
les Français ». La collectivité départementale serait la seule entité, entre
l'Etat et les communes, susceptible d'assurer un équilibre entre les
intérêts que « la société pousse à l'affrontement ».
Les conseillers généraux veulent donc cantonner la région dans son rôle
d'établissement public strictement spécialisé. Mais on verra plus loin que,
compte tenu du profil politique de son assemblée, il tend à déborder de la
spécificité bornée de la loi de 1972.
Il lui est rappelé, notamment, que la préparation du Plan, la répartition
des crédits doivent être réalisés avec la participation effective des
assemblées de département.
Selon André Bord, pourtant, des tentatives d'ouverture auprès des conseils
généraux n'ont pas été fructueuses. La consultation des commissions
départementales du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, réunies en assemblée pleinière,
n'a donné que des résultats désastreux. C'est qu'en l'espèce, une rivalité
sans fin oppose les deux départements. Le conseil général du Haut-Rhin avait
réagi contre la nomination d'une femme fonctionnaire à un organisme
d'études, émanation locale de la D.A.T.A.R., parce que strasbourgeoise !
L'établissement d'un programme pluri- annuel plus vaste, plus judicieux,
s'est heurté cette fois à l'opposition des deux départements. Sur l'Alsace «
plane l'ombre de la Cathédrale de Strasbourg : elle obscurcit le ciel de
Mulhouse » et toutes les réformes régionales n'y changeront rien.
André Chandernagor, préoccupé par ses rapports tendus avec le C.E.S., n'a
par contre aucune difficulté avec les conseils généraux. En Franche-Comté,
une participation des conseils généraux intéressés a été obtenue pour un
projet d'assistance architecturale en vue de la préservation du style
franc-comtois dans les constructions, matérialisé par une charte commune.
Devant la formulation de cette inquiétude, le Ministre de l'Intérieur s'est
montré rassurant. Mais, par surcroît, pourra-t-on effacer l'impression
produite par l'article d'Alain Peyrefitte dans le Monde de novembre
1975 : « Décentraliser la gestion à deux niveaux » et qui, dans le
cadre d'une réorganisation des structures, souhaitait que l'on « élague les
branches mortes » après une période de transition. Le conseil général peut,
à juste titre, craindre de subir le sort des conseils d'arrondissement,
pourtant élus du suffrage universel, tombés en désuétude et qu'à la
Libération, on se garda bien de rétablir. (in Laforest Les Conseils
d’arondissement in Revue administrative 1949 ).
Il est d'ailleurs étrange que, dans une société où l'on prône le
rapprochement de l'administré de l'administration, celle-ci s'éloigne à la
manière d'un mirage qui se dissipe alors qu'on croit l'atteindre.
L'arrondissement est dépossédé au profit du département, la région
dépossèderait le département, dans un éloignement progressif des centres de
décision. Tandis que l'on parle de concertation entre gouvernants et
gouvernés, de la démythification du pouvoir contesté parce que trop
lointain, trop étranger au citoyen.
Après tout, Louis XIV, en recevant directement les placets, ne jugeait pas
indigne de jouer lui-même les « « ombudsman ».
N'ayant, pas plus que les conseils généraux, l'intention de se muer en
branches mortes, il s'agit donc, pour les conseils régionaux, de prouver le
mouvement en marchant et de se livrer au « choix délicat de l'étoile polaire
» sur laquelle ils règleront leur marche. Métaphore poétique de Jean
Berthon , doyen d’âge du conseil régional Rhône- Alpes (
in Recueil des actes administratifs de cette région
Janvier 1974)
Cette surenchère d'activité pourra être profitable à l'administré, mais elle
risque aussi d'aboutir à des actions sporadiques, désordonnées, donc
coûteuses. D'autre part, l'influence des conseillers généraux n'est pas
négligeable et a certainement pesé sur le sort du référendum de 1969. Et ils
n'ont pas l'intention de jouer les poids morts dans la décentralisation
française.
2) LA RÉGION CONTRE L'ETAT.
Le lancement d'une guerre coloniale, dixit J.J Servan-
Schreiber , l'Occitanie à l'heure du Risorgimento selon R Lafont , ne
sont point là l'expression d'une modération d'esprit, telle qu'elle puisse
se contenter d'un établissement public « région », en réponse à ces
revendications . Pour Jean Lacanuet « La région c’est la réponse
à l’autonomie ». Sinon ce serait offrir une bicyclette à un amateur
de moto.
En 1969, le général de Gaulle avait repris lui aussi ce courant à
remonte-temps dans un projet de 1969 sur l'organisation de la France en
régions « qui seront en général nos anciennes provinces mises au plan
moderne ».
Les temps seraient-ils donc si douloureux que les Français, doutant de leur
avenir, en vinssent à prêter des charmes romantiques à des périodes pourtant
cruelles de leur histoire ?
Y a-t-il lieu, pour remonter un courant écologique, folklorique, émouvant
certes, de déclencher une guerre coloniale, c'est-à-dire civile. L'épreuve
du Risorgimento risquera d'être plus terrible encore. Tout provincial était
« l'Autrichien » de la région voisine, voire du département. Comment
reconnaître « l'Autrichien », alors que le brassage des populations a été
tel que serait bien fin celui qui distinguerait le Gaël du Kymri, produit
lui-même de Finnois mêlé de Germain, qui nous donna le Normand selon
Stendhal .
A. — L'ethnie régionale.
Vouloir donc atteindre « la conscience d'identité et la désaliénation » à
travers « un aspect ethnique » d’après R Lafont, paraît particulièrement
délicat. Quel critère devra être choisi, afin de différencier des
populations ethniquement mêlées ? Où se trouve la pureté du sang en Alsace,
qui a reçu des transfusions de Celtes, de Romains, d’Alains et d'Alamans ?
Dans ce creuset ethnique, on trouve encore des villages peuplés de
descendants de Huns qu'on devra peut-être envisager d'envoyer vers leurs
frères asiatiques, marqués comme eux du sceau sur le sacrum de la tache
mongolienne !Comment peut-on être Alsacien ? Faut-il avoir une résidence
secondaire, un château ou une chasse, un domicile, un travail en dépit de
l'attraction frontalière ? Ou parler le dialecte ; les Alsaciens, émigrés en
Algérie en 1870 pour garder la nationalité française, seront-ils des
heimatlos ? Demandera-t-on, pour s'établir en Alsace, des certificats de
sang des deux grand'mères, ce qui n'est pas sans rappeler de fâcheux
souvenirs ? Les Corses ont voulu un préfet corse. Rapatriera-t-on, en
échange, dans leur île, tous les fonctionnaires corses ? Comment un Occitan,
ou un Alsacien pourra-t-il se soumettre aux règlements d'un préfet corse ou
breton ?
De telles exigences de pureté ethnique risqueraient passablement de
compromettre, à l'échelle française, la libre circulation des hommes, qui
sera plus difficile encore que dans son application au niveau européen.
Fabrice del Dongo prenait un passeport pour traverser l'Italie avant le
Risorgimento nationaliste. Les « Frances », débarrassées de leurs
Autrichiens - et l'on est toujours l'Autrichien de l'autre- seront encore
plus difficiles d'accès. On établira pour le Breton en Lorraine, le
Berrichon dans le Comté de Nice, la carte de séjour que l'on n'ose plus
réclamer d'un travail immigré si l’on pousse jusqu’au bout la logique de ces
raisonnements affolants .
Le reclassement racial paraît, en outre, difficile dans ce melting pot qu'a
été la France. En 1668, année des « Plaideurs », tout était déjà joué : le
Français moyen était né de « papa breton et de maman picarde ».
« Cette espèce de romanticisme », critiqué par Jacques Chirac, n'est pas, en
tout cas, justifiable, dans la mesure où il tend à produire des
discriminations raciales.
Par contre, la tentative de préservation, de rénovation des langues locales,
cet effort de retourner aux sources de la civilisation d'un peuple est
émouvant et enrichissant. La protection d'un patrimoine culturel, artistique
et littéraire a été trop longtemps négligé . Encore la prudence doit-elle
l'emporter. Ainsi que le déplorait Renan, en 1853, alors que déjà le «
patois était à la mode », une confusion de valeur était opérée : « On ne
recherchait plus le souvenir des troubadours provençaux du XIIe siècle, un
de ces idiomes enrobés de génie qui ont mérité, un moment, le nom de langues
», mais on remettait en faveur « un jargon des rues d'Agen dont tout le
mérite
consistait à dire barco au lieu de barque et poulo au lieu de «
poule » ! ( in Origine de la langue française , 1853 ,Journal de l’
instruction publique ). Le Celte de Tréguier, aux yeux de qui, cependant, le
souvenir est, pour chaque homme, une partie de sa moralité, trouvait qu'il «
était puéril d'espérer que la race celtique arrivera dans l'avenir à
une expression isolée de son originalité ».
Si la culture en serre d'une langue ne débouche pas sur une création vivace,
il risque d'y avoir seulement une reconstitution archéologique morne et
figée La pratique de la langue ne sera qu'un code entre initiés, fermeture
sur le monde, méfiance à l'égard de « l'autre », étranger dans son pays,
déraciné de son terroir parce que parti trop tôt pour chercher du travail,
et craignant d'y revenir.
Fini le temps du Tour de France, où les compagnons circulaient librement, à
la recherche curieuse de l'autre et de ses secrets, ne se perdant pas
nostalgiquement dans leur contemplation narcissique.
Risque de repliement, donc, au moment où l'ouverture doit se faire sur cette
Europe qui a existé au moins à deux époques, quand le latin, puis le
français faisaient d'Erasme et de Thomas More, de Voltaire et de Catherine
II des interlocuteurs.
Tandis que si le processus de diversification est trop poussé, on risque
d'exiger un certificat de langue pour l'Institut régional de Bordeaux ou de
Strasbourg.
Cette aspiration linguistique n'est pas seulement propre à l'Europe,
l'Irlande, la Flandre et la Wallonie. Mais elle touche un pays jeune, le
Pakistan, dont une province se tourne déjà vers le passé, à travers le
sindhi, langue antique dérivée du sanscrit et élitique. La communication se
fera grâce à l'anglais véhiculaire, avant le renfermement définitif dans une
société patriarcale et réactionnaire.
B. — La centralisation ennemie ?
Certes la centralisation a pris peu à peu un poids parfois insupportable ,
même si c’était au départ une nécessité : « Si la liberté des
communes eût prévalu , si les communes eussent subsisté , la France
couverte de républiques ne fût jamais devenue une nation . Il
lui serait arrivé en pire ce qu’a éprouvé l’Italie » a
écrit Michelet dans son Introduction à l’histoire
universelle, 1834 .
Nous ne pouvons reprendre tous les arguments déjà cités ou éculés à force
d'être utilisés et qui restent entre les mains de ses adversaires tels des
javelots émoussés. Il conviendrait mieux de déterminer de quelle part
d'espoir sont porteuses les idées décentralisatrices, car la région de 1972,
ne gênant personne, ne peut à la limite, satisfaire personne.
Mais les espoirs placés dans l'autogestion de Ben Bella, en
Algérie , à l’imitation de la Yougoslavie, se sont dissipés tel un mirage.
Il ne reste que l'expérience, satisfaisante sur le plan moral, d'un
rapprochement de l'homme et du pouvoir, si ce n'est participation au circuit
de décision. Il serait toutefois naïf d'espérer que les séances du conseil
régional se dérouleront, un jour, dans l'atmosphère chaudement affectueuse
d'une séance d'épouillage à Montaillou village occitan d’ Emmanuel
Leroy- Ladurie !
Le pouvoir, s'il se rapproche un peu, risque par contre d'être plus
oppressant et de mettre l'administré dans la situation de l'ami de Stendhal,
refusant de s'affilier aux deux coteries locales et rivales, liguées contre
lui, et ne trouvant son salut que dans la fuite vers... Paris : « Les
deux membres du conseil général n’ont pas voulu désobliger les
électeurs dont ils dépendent. Tel est l’effet de l’aristocratie
du cabaret » ( in Mémoires d’un touriste) .
Les échos étrangers des effets du
pouvoir local, ne sont guère plus satisfaisants : en Grande-Bretagne, la
régionalisation a donné naissance à une nouvelle coterie, « l'old boy
network », qui enserre de ses noeuds les bureaux et les conseils .
Traduction : C'est la région des copains, selon A Delion . ( in Le
régionalisme en Grande – Bretagne in Institut français de
science administrative, 1967) .
L'exercice du pouvoir local n'a pas été une longue suite d'idylles entre élu
et électeur, administrateur et administré, lequel après un détournement de
pouvoir, peut difficilement se targuer du titre de citoyen, ni même de
sujet, à peine de celui d'objet d’après une étude poussée de la
jurisprudence administrative de 1909 à 1954.
Proudhon, malgré son désir de promouvoir la commune, constatait dans sa
Philosophie de la misère qu'un maire livrait l'emprise de la voie publique à
des groupes de pression- déjà- ceux des propriétaires de vignobles .
D'ailleurs, dans son ardeur décentralisatrice, mutuelliste, sans pouvoir
souverain, ni concentration politique, il avait pris soin de supprimer tout
ce qui divise les hommes : c'est-à-dire l'esprit de secte, la jalousie de
parti, le préjugé de race et la rivalité de corporation ( in
Contradictions politiques , 1840). Ce qui est fort loin du
morcellement ethnique, linguistique, économique, souhaité par certains
autonomistes.
La centralisation a même, à une certaine
époque, constitué le meilleurs rempart de l'individu contre les empiétements
du pouvoir local.L'exemple le plus fameux en est celui des Grands Jours
d'Auvergne. En 1665, Louis XIV dut envoyer, par lettres patentes, les
magistrats de Paris siéger à Clermont, pour rétablir l'ordre dans « une
province où les nobles jouent les tyrans ». Les abus étaient effarants :
confiscation du droit de justice au profit du seigneur, accaparement des
biens des roturiers, faux en matière de levée d'impôts, fausse monnaie, faux
poids, concussions administratives ou judiciaires, taille exigée sans titre,
payement en argent des corvées, état-civil mal tenu, faux en matière
d'impôts royaux, scandales financiers et moraux dans les hôtels-Dieu, mise
en chartre privée d'innocents, assassinats perpétrés par des nobles et
restés impunis, couverts par la complaisance de Parlements étouffant les
plaintes .
C) L’aide aux départements
La Franche-Comté, justement, et la Région Rhône-Alpes viennent en tête pour
cette aide, avec respectivement 6 099 MF et 7 524 MF.L'aide aux départements
est très forte en Limousin ,12 400 MF,tandis que Rhône-Alpes, donne par
contre 51 000 MF aux communes, contre 1 000 MF pour le Limousin. Pour les
départements, l’investissement représente en 1975 20, 8% du
budget pour l’ensemble des régions Pour les communes
17, 6% .Les établissements publics nationaux représentent 2 740 MF pour
Rhône-Alpes et zéro pour le Limousin soit 1, 4% du niveau total de régions
.La Franche-Comté ne donne que 1 494 MF, contre 14 495 MF pour le Centre,
aux établissements publics communaux , soit 13 , 4% du programme de toutes
les régions
Le Limousin accorde la plus faible part aux établissements privés, ce qui
est conforme aux options précédemment exposées (60 400 MF).
Dans cet interventionnisme financier, Rhône-Alpes donne priorité aux
secteurs de l'éducation et de la formation, le Centre au développement
urbain. Mais l'Alsace, la première place aux communications, ainsi que la
Franche-Comté et le Limousin.
C'est aussi l'option du Président de la République, Valéry Giscard d’
Estaing , qui, à Dijon, lors de la réunion de l'assemblée inter-régionale du
24 1 décembre 1975, avait déclaré qu'il convenait « d'engager le pays dans
un ouvrage dont la construction lui permettra d'être présent à un grand
rendez-vous économique et politique, au rendez-vous de l'Europe de la fin de
la prochaine décennie ».
A ce rendez-vous, quelles régions seront présentes ? Des régions
autonomistes risquant, face à l'Europe, de mettre en danger l'unité de
l'Etat, ou les timides établissements publics à vocation strictement
économique ? Mais, déjà, le franchissement d'une étape a été observé, avec
l'idée d'une euro-association des régions frontalières ; la commission
de la politique régionale et des transports avaient fait un projet
de résolution sur les transports appliquée aux régions
situées de part et d’autre de s frontières intérieurs de la communauté
. Inversement si l’Europe politique se réalisait, autour de
cette nouvelle idée de droit, s’articuleraient naturellement des entités
se décentralisant pour elles mêmes et non contre l’ Etat, les
départements et les communes .
Un conseil régional, composé de représentants élus des collectivités
membres, des représentants des instances nationales et d'un représentant de
la commission des Communautés européennes, assisté d'un comité régional de
fonctionnaires supérieurs de l'administration des collectivités membres,
serait un premier pas vers l'harmonisation des relations Alsace et
Bade-Wurtemberg, Nord de la France et Flandre et Wallonie, Alpes maritimes
et région Ligure, Bretagne et Cornouailles.
Un provincialisme poussé faisant des Français, des Occitans, des Bretons,
des Savoyards et des Provençaux, ne serait pas le meilleur processus
d'édification d'une Europe.
Il resterait à éviter, cependant, qu'après avoir renversé le
bastion central, le citoyen ne fût pas pris aux mailles de « l'old-boy
network », le réseau des copains.
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